La Guadeloupe nous prend par surprise au fur et à mesure que nous découvrons ses trésors naturels. Vous glisserez dans un premier canyon, puis dans un deuxième qui mène à ce qu’on appelle “la machine à laver”, vous comprendrez pourquoi, et pour le troisième canyon… eh bien, ce sera une surprise.» Voilà le programme qu’annonce notre guide Raphël Dörr pour notre prochaine descente dans les gorges profondes des forêts de Pointe-Noire, en Guadeloupe, un sourire narquois à peine dissimulé sur ses lèvres brûlées par le soleil.
Son enthousiasme est génial si vous aimez les surprises. Ce qui n’est pas mon cas. Je m’allonge sur le dos, une rivière glaciale déferlant sur mon corps saucissonné dans une étroite combinaison.
« Enfiler votre combinaison sera la partie la plus difficile du canyonisme », plaisantait Raphaël plus tôt.
Il mentait.
Je m’élance dans cette glissade forgée par la nature, puis dans une autre, et j’atterris dans un bassin tourbillonnant qui me fait virevolter comme une poupée. Ah! la machine à laver! Évidemment. Je cherche à tâtons le bras de Raphaël. Il me hisse hors de l’eau pour me lancer aussitôt tête première, surprise, dans un autre canyon en fente. J’émerge désorientée… et exaltée.
Peut-être que j’aime les surprises, après tout.
Et la Guadeloupe vous en réserve des tonnes. Ce minuscule archipel figure parmi les 25 endroits les plus biodiversifiés de la planète. Le parc national de la Guadeloupe compte à lui seul 24 500 hectares de lagons, de mangroves et de forêts marécageuses abritant plus de 300 espèces d’arbres, 200 espèces d’oiseaux et 3 000 espèces d’insectes. Mais aucun d’entre eux n’est mortel, nous rassure Raphaël. Un soupir de soulagement se fait entendre au sein du groupe, puis un râle de la part d’un jeune homme qui semble déçu de cette absence de faune meurtrière.
Nous nous enfonçons alors plus profondément dans une jungle qui nous émerveille dans ses moindres recoins. Nous sautons par-dessus des pierres glissantes et passons près d’un nid de termites bulbeux. Raphaël le gratte, ramasse les bestioles mangeuses de bois et les déguste. « Il faut vraiment croquer dedans pour libérer toute leur saveur », insiste-t-il. Je m’exécute. Elles goûtent l’anis. (Je n’aime pas l’anis.)
Nous sautons courageusement du haut des falaises et passons devant un gigantesque figuier étrangleur qui a poussé autour d’un arbre jusqu’à l’engloutir, créant d’énormes racines aériennes que Tarzan aurait facilement prises pour des lianes. Nous marchons à travers une jungle mystérieusement immobile, dans l’ombre du volcan grondeur la Soufrière, le plus haut sommet des Petites Antilles, à 1 467 mètres. Nous atteignons enfin la chute d’Acomat, une cascade de neuf mètres de haut.
Il s’avère qu’il y a plusieurs façons de la descendre. Il s’avère aussi que toutes ces façons défient la mort. Voici le plan de Raphaël : nous glisserons dans un canyon et nous plongerons en chute libre dans les eaux émeraude tout en bas, comme dans le film Les Goonies.
Je ne raffole pas de ce plan. Mais c’est ainsi que ça fonctionne en Guadeloupe, alors je m’allonge sur le dos, je lève mon pouce vers Raphaël avec un air suggérant que cet abandon de bon sens se retournera sûrement contre moi, et hop! j’entreprends mon pèlerinage cahoteux jusqu’en bas de la chute.
Oui, j’aime vraiment les surprises. Et pas que sur la terre ferme.
En descendant des routes sinueuses à flanc de falaises, je demande à mon chauffeur à combien de temps se trouve notre destination. Il hausse les épaules et me répond : «À 15 minutes.», d’un ton qui n’a rien de convaincant. En Guadeloupe, on ne s’en fait pas avec le temps. Tout est à 15 minutes de distance.
Nous arrivons, 30 minutes plus tard, à la plage de Malendure bordée de boutiques et de restaurants colorés.
« Impossible de venir en Guadeloupe sans goûter à notre bokit », me taquine mon chauffeur.
Je n’oserais pas le contredire. Alors je le suis jusqu’à une cabane jaune vif où une femme corpulente fait frire de la pâte dans de l’huile. On dirait une mère dans sa propre cuisine. Je commande un bokit croustillant garni de poulet. Pas de surprise ici : c’est délicieux. Une heure plus tard, j’embarque dans un bateau à moteur et, en un rien de temps, je flotte dans les 1 000 hectares d’eaux plus bleues que nature de la Réserve Cousteau, nommée d’après le célèbre explorateur Jacques-Yves Cousteau.
Je plonge sous l’eau et je vois immédiatement le monde en mille couleurs. Les poissons se teintent d’orange éclatant, de rouge feu et de bleu électrique à mesure qu’ils virevoltent sous la lumière du soleil tamisée qui perce l’océan incroyablement limpide, comme des rayons à travers les vitraux d’une cathédrale.
Je nage à travers un pays des merveilles que Lewis Carroll lui-même n’aurait pu inventer. Un monde où les méduses lunes illuminent un ciel liquide. Où le concombre de mer nonchalant expulse ses organes internes dans un ingénieux réflexe de défense comparable à n’importe quel super pouvoir de bande dessinée. Où les animaux terrestres se métamorphosent en poissons, avec des rayures de zèbre et des taches de girafe. Un royaume qui accueille des réfugiés de contes de fées, tel que le poisson-papillon Pinocchio. Qui meuble son intérieur de cerveaux géants et de cornes de cerf. Non, aucune fiction ne pourrait dépasser cette réalité.
En route vers l’hôtel, des images d’univers féérique défilant dans mon esprit, nous passons devant le jardin botanique de Deshaies. Sur son affiche est inscrit : «Notre nature va vous surprendre!».
« On devrait en faire le slogan de la Guadeloupe », rigole mon chauffeur.
Il a raison. Avant d’atteindre une chute, il faut glisser à l’envers dans des canyons. Au-dessus d’une jungle fantaisiste trône un volcan encore plus capricieux. Sous des eaux de mer calmes s’agite un tourbillon de poissons. Et tout cela se trouve à 15 minutes de distance.